Étiquette : violence

Au fil des pages avec La neige était sale

J’ai lu, cette semaine, en version numérique via ma médiathèque La neige était sale de Jean-Luc Fromental et Bernard Yslaire (éd. Dargaud, janvier 2024, 104 pages),  une BD adulte adaptant le roman éponyme de Georges Simenon paru pour la première fois en 1948 avec la déchéance de Frank Friedmaier, âgé de 18 ans, presque 19 et fils de Lotte, une tenancière de maison close qui ne sait quel sens donné à sa vie, dans une ville occupée, en pleine guerre et lors d’un hiver neigeux. Faisant partie des privilégiés qui ne connaissent ni les pénuries ni le froid et se pensant intouchable, il n’attend plus rien de la vie, assassinant un occupant particulièrement répugnant, juste parce qu’il s’en sent capable, comme il peut profiter, selon son bon vouloir, des « filles » de sa mère et jouant un jeu malsain avec sa jeune voisine, Sissy Holst, éperdument amoureuse de lui. Et si cette déchéance volontaire pouvait conduire à la rédemption?

Je n’ai pas lu le roman de Simenon, un roman dur et défini comme existentialiste, le roman étant paru deux ans après L’existentialisme est un humanisme de Jean-Paul Sartre, chaque individu se définissant par ses actes. A la fin de ma lecture, je n’ai ressenti qu’un profond gâchis, même si je n’ai pas adhéré à cette rédemption du jeune homme qui par moment m’a fait penser à certains adolescents ou adulescents (à peine adultes) commettant leurs premiers actes délinquantiels. J’étais curieuse de découvrir cette BD et ne regrette pas de l’avoir lue. Aucune identification pourtant dans ce jeune homme, même si la voix-off qui interpelle Frank à la deuxième personne, y invite. Cette BD questionne sur la nature humaine, laissant à chacun ses propres réponses existentielles et fait écho aux années d’occupation, pendant la Seconde Guerre Mondiale mais si le lieu et l’époque ne sont pas mentionnés.

Graphiquement, je suis plus mitigée, ayant apprécié l’ambiance sombre, violente, malsaine et poisseuse créée par la palette et le jeu des couleurs mais ayant eu bien du mal avec l’apparence physique des personnages très grossiers et caricaturaux et même Franck lui-même, bien jeune par rapport par exemple à Fred Kromer qui n’est que de 3 ans son aîné (apparaissant plus comme un trentenaire voire même quadragénaire), sa beauté froide contrastant avec les pires atrocités commises. Peut-être que cela est un moyen d’appuyer le contraste entre son jeune âge et le fait qu’il se sente comme quelqu’un ayant déjà bien vécu, prêt à se laisser emporter dans la mort. C’est un jeune perdu, cruel et cynique, tombé en dépression, sans une once d’empathie, vivant dans l’oisiveté et qui pense être prêt à mourir. Mais l’est-on vraiment? Franck m’a d’ailleurs fait penser au personnage de Colette, Fred Peloux dans Chéri et sa suite, La fin de Chéri.

Malgré les privations en temps de guerre, j’ai pu relevé quelques bulles gourmandes pour le Challenge Des livres (et des écrans en cuisine), Franck en ayant la possibilité, que ce soit au bar-restaurant de Timo ou chez sa mère.

Participation #2 Challenge Des livres (et des écrans) en cuisine 2025 de Bidib et Fondant

Participation #4 (Parcours illustré) Challenge Le tour du monde en 80 livres 2025 de Bidib #Belgique (Simenon)

Au fil des pages avec Dolorès ou le ventre des chiens

J’ai lu, en février dernier, Dolorès ou le ventre des chiens d’Alexandre Civico (éd. Actes Sud, janvier 2024, 192 pages), un court roman policier avec le face-à-face entre une tueuse en série présumée d’une dizaine d’hommes riches, âgée d’une quarantaine d’année, Dolorès Leal Mayor et Antoine Petit, le psychiatre chargé de l’expertise psychiatrique, tout juste diplômé sur lequel un juge d’instruction a fait pression pour qu’il rende une expertise concluant à la folie de Dolorès. Au cours des entretiens en maison d’arrêt, l’expert psychiatrique parviendra-t-il à découvrir le mobile de ces meurtres?

J’ai été déçue par ma lecture avec deux personnages bien trop caricaturaux et un propos qui va à contre-sens de la politique pénale actuelle qui retient très rarement les cas d’irresponsabilités pénales, même en cas de mise sous tutelle de la personne poursuivie et même si l’idée de ce face-à-face était séduisante, chacun renvoyant à l’autre son mal-être et sa colère face aux « puissants ». Il y est ainsi question d’inégalités sociales, les deux venant de milieux sociaux modestes, que ce soit Dolorès face aux hommes riches de la société patriarcale qui font peu de cas du sort des femmes, réduites à des objets sexuels pour leur bon plaisir ou Antoine qui évolue parmi des parisiens aisés, comme sa petite amie, qui vivent au-dessus de sa classe sociale qu’il méprise tout en en prenant les codes, travers et addictions (alcool et cocaïne).

Je n’ai pas ressenti « cet ode à l’embrasement, à l’incandescence des révoltes » ni vu « une fable contemporaine sur la violence induite par le poids de l’oppression », comme annoncé par l’éditeur.

J’ai d’autre part relevé bien trop d’incohérences et inepties judiciaires à mon goût comme par exemple le fait que Dolorès aille directement en maison d’arrêt, de façon arbitraire, sans passer par la case « garde à vue puisqu’elle a été menottée lors de son interpellation, déferrement, mise en examen devant un Juge d’Instruction et débat contradictoire en vue de son placement en détention provisoire devant un Juge de la liberté et de la détention » ou bien encore l’improbable évasion finale complètement grotesque… Certes il s’agit d’une fiction mais ce face-à-face aurait été sans doute été plus pertinent s’il ne s’était pas ancré dans une époque contemporaine, renvoyant à la procédure judiciaire actuelle française et donc à un État de droit.

Pour d’autres avis sur ce roman: Katell (qui a été bien plus emballée que moi).

Challenge Petit Bac d’Enna #2 Catégorie Partie du corps: « Ventre »

Au fil des pages avec Les Terriens

En novembre 2021, j’avais lu Les Terriens de Sayaka Murata (éd. Denoël, 2021, 242 pages), un roman japonais bien plus sombre et noir que ne le laisse supposer le hérisson tout mignon de la couverture. Je retrouve dès les premières pages le style et les préoccupations sociétales que l’autrice avait déjà abordées dans Konbini (le poids de la famille et de la société japonaise, le conformisme social, le bonheur…).

Natsuki, une jeune fille âgée de 10/11 ans se réfugie dans son monde imaginaire, avec pour seul ami sa peluche hérisson doté de pouvoirs magiques, Pyûto. Elle est une mahô shôjo (une magicienne pouvant jeter des sorts avec sa baguette magique pour sauver le monde comme Sailor Moon par exemple) pour affronter la maltraitance subie par sa mère qui la rabaisse et la frappe quotidiennement ou les viols subis par le professeur de ses cours privés. Comme chaque année, en été, pour le festival de l’O-Bon, elle retrouve chez ses grands-parents, dans la haute montagne d’Akishina, son cousin du même âge, Yû qui est lui aussi spécial qu’elle: il est un extraterrestre attendant le retour de son vaisseau spatial pour regagner sa planète, Pohapipinpobopia. Ils se font la promesse de survivre, quoi qu’il arrive.

De cette première partie, j’ai trouvé touchant et révoltant ce que subit Natsuki, enfant victime qui ne trouve aucun adulte ni ami pour l’aider au point de songer au suicide. Il m’est revenue en tête un principe d’éducation bienveillante selon lequel il ne faut pas coller d’étiquette à un enfant, Natsuki se déclarant la poubelle de sa famille ou bien encore Yû que sa mère suicidaire traite d’extraterrestre.

Comment se construire et survivre pour des enfants face à de telles violences (physiques, sexuelles, psychologiques)? Les deux cousins tentent de ne pas finir Terrien dans la grande Fabrique à humains où chaque adulte devient un outil en travaillant et/ou en procréant. Mais le soir des funérailles du grand-père, les deux cousins amoureux l’un de l’autre sont séparés par leur famille. 

Puis nous sommes projetés 23 ans plus tard, avec le retour de Natsuki avec son mari Tomoomi dans la maison familiale d’Akishina et ses retrouvailles avec son cousin Yû. Natsuki a fait un mariage arrangé avec Tomoomi (mariage sans sexe et sans enfants), ce que leurs parents respectifs découvrent et condamnent. Akishina sera-t-il comme autrefois une bulle salvatrice? A partir de ce moment-là, le roman bascule petit à petit dans la folie et l’horreur jusqu’au dégoût (tentative d’inceste, cannibalisme). Un roman étrange et dérangeant!

Participation #5 Un Mois au Japon 2022 d’Hilde et Lou #Roman

Participation #29 Challenge Le tour du monde en 80 livres de Bidib #Japon

Au fil des pages avec De l’autre côté du pont

J’ai lu hier soir De l’autre côté du pont de Padma Venkatraman (éd. L’école des loisirs, coll. Médium, 2020, 239 pages), un roman jeunesse à partir de 11 ans se déroulant à Chennai, en Inde. Pour fuir des violences domestiques, deux jeunes sœurs – Viji âgée de 12 ans et Rukku, son aînée d’un an et handicapée mentale – s’enfuient de chez elles. Leur père violent bat régulièrement leur mère et a fini par leur porter des coups. Arrivées dans la grande ville, Viji est bien décidée à trouver un emploi et qui sait peut-être devenir plus tard enseignante et s’occuper de Rukku.

Mais la réalité n’est pas si simple. Vite perdues dans la grande ville et sans argent, elles doivent d’abord se trouver un refuge pour la nuit. Sur un pont en ruine, elles voient un abri de fortune mais qui appartient à deux jeunes garçons sans-abris, Muthu et Arul, tout aussi démunis qu’elles mais qui ont dû apprendre à survivre dans les rues de Chennai. Les quatre enfants s’unissent pour former une nouvelle famille, Viji devenant « Akka », grande sœur et recueillent un petit chien errant, Kutti. Dans une liberté précaire, ils doivent, chaque jour, trouver de quoi se nourrir en évitant les dangers, les mauvaises rencontres et les maladies. Viji a-t-elle fait le bon choix en fuguant avec sa sœur?

Découpée en chapitres courts, l’histoire est racontée par Viji dans une longue lettre qu’elle écrit à sa sœur Rukku, dans un style empathique, interpellant et englobant le jeune lecteur (« tu », « nous »). La jeune fille revient sur leur fuite pour un avenir meilleur, revenant sur leur parcours partagé avec les deux garçons, entre souffrances et lueurs d’espoir. Arul et Muthu ont également un lourd passé qui les a conduit dans la rue.

Les thèmes abordés sont durs, touchants et révoltants avec la difficile et misérable (sur)vie des enfants des rues en Inde, très jeunes et pourtant si débrouillards pour ne pas finir morts dans l’indifférence générale. Comme il s’agit d’une lecture jeunesse, les quatre enfants font heureusement de bonnes rencontres comme la femme d’un vendeur de thés qui donne à Rukku des perles pour faire des colliers ou le jardinier qui leur jette une orange, mais pas tout le temps.

Il y est question des inégalités sociales en Inde, de misère et de violences subies par les enfants des rues: mendicité, travail des enfants (dans les ateliers clandestins ou dans des décharges pour récupérer des déchets recyclables comme le verre en échange de quelques roupies), recherche de restes de nourriture et d’eau, rivalités entre bandes, peur d’être enlevés… Mais aussi de religion et de handicap.

D’autre part, la relation entre les deux soeurs, Viji et Rukku est très joliment décrite. Viji porte sa grande sœur handicapée tout autant que Rukku qui, avec son insouciance et son regard particulier sur le monde, est aussi un des piliers du groupe.

Le message porté par ce roman est aussi lumineux et bienveillant que la magnifique illustration de couverture de  Jennifer Bricking. Les quatre enfants sont forts, dignes, courageux et recherchant toujours la meilleure conduite à tenir et de faire le bien. Un moment de lecture très émouvant (mais pas larmoyant) et basée sur des faits réels, l’autrice ayant repris des témoignages d’enfants défavorisés en Inde!

Mise à jour du 31 juillet 2021: d’autres avis lors d’une LC sur ce roman jeunesse: Blandine, Hilde, Bidib, Agathocroustie (IG) et Inde en livres.

Participation #2 Les Étapes Indiennes 2021 de Hilde et Blandine #6 Jeunesse indienne

challenge 2021 lire au féminin

Participation #35 au Challenge Lire au féminin de Tiphanya #Autrice indo-américaine

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