J’ai lu La malentendue de Yolaine Destremau (éd. Charleston, octobre 2022, 192 pages), un court roman abordant, avec réalisme bien que de façon fictive, les violences conjugales et son cycle. Cécilia a appris à dissocier sa vie professionnelle et sa vie personnelle, étant deux femmes fort différentes en tant qu’Avocate et en tant que mère de deux filles et épouse. Là où elle s’impose et n’a peur de rien au travail, elle devient effacée et sur le qui-vive auprès de son époux, Abel. Mais une telle dissociation est-elle tenable?

J’ai apprécié que malgré le thème abordé, l’histoire ne soit pas larmoyante, le style épuré et factuel disséquant la vie des personnages comme dans un dossier pénal, la tension étant entretenue par le fait de savoir si (et pas forcément quand) Cécilia aura le déclic pour quitter son mari. On y retrouve, en effet, tout le mécanisme des violences conjugales, les doutes et remises en question de la victime, la perte d’estime de soi et du côté de l’auteur, les violences verbales et physiques, la culpabilisation, le charme, la victimisation, les mensonges tels répétés qu’ils apparaissent véridiques (blessures liées à la maladresse, l’alcoolisme…), la possessivité…

Cécilia est prise dans cette spirale d’emprise psychologique, oscillant entre déni, peur, honte et détresse, sans savoir comment y mettre fin, coupée au fil des années de tout entourage (amis et famille), malgré certaines aides extérieures (une inconnue dans un café, un psy, un policier ou même un client…). On sait, en effet, qu’une victime de violence conjugale va faire de nombreux allers-retours avant de peut-être partir ou déposer plainte, tous les moments de répit ou de joie faisant croire que cela va s’arrêter (ce qu’on appelle les périodes de « lune de miel »). C’est un long processus qui n’a rien d’évident et de simple pour la victime. Si le sujet vous intéresse, de nombreuses études canadiennes ont été réalisées et influencées la législation française actuelle.

Mais cela aurait été, à mon avis, plus convaincant si l’autrice avait choisi un autre métier à Cécilia car pour une « brillante » avocate généraliste qui fait du pénal, elle ne connaît même pas la distinction entre une main courante et une plainte! De même, en traitant de dossiers pénaux, elle a bien dû, à un moment ou un autre, avoir à en traiter un, à tout le moins, attendre dans une salle d’audience son tour pour plaider et donc entendre de nombreuses affaires de violences conjugales, les comparutions immédiates passant immédiatement après les renvois. Je n’ai pas trouvé cela réaliste. Une autre profession considérée comme « bourgeoise » aurait pu être choisie afin de mettre en avant l’autonomie financière de l’épouse.

Dans ce roman, il est, en effet, rappelé que les violences conjugales touchent tous les milieux sociaux, pauvres ou aisés, comme c’est le cas d’ailleurs pour toutes les violences intrafamiliales, comme sur les enfants (maltraitance, inceste…). Il relève également les dysfonctionnements institutionnels et la prise en charge parfois défaillante des policiers dans le recueil de la plainte, même si depuis une dizaine d’années, cela s’est bien amélioré, que ce soit au moment du dépôt de plainte que dans la poursuite des faits, de nombreux Parquets ayant fait une priorité des violences intrafamiliales, poursuivant l’auteur en comparution immédiate, même lorsque celui-ci a un casier vierge, selon la gravité des blessures.

Cela m’a fait d’ailleurs penser à deux affaires en particulier, celle d’une victime qui s’est sentie forcée par les policiers à déposer plainte à l’encontre de son mari, minimisant les coups reçus et face à la vitesse de la comparution immédiate, ne sachant pas où vivre et de quoi vivre, avec ses enfants, sans son mari, restant « perdue » à la fin de l’audience et celle dans laquelle la victime ayant appelé avec un « téléphone grave danger » son ancien compagnon auteur des violences conjugales alors qu’elle avait été prise en charge dans d’un hôtel dédié dont elle lui avait donné l’adresse afin qu’il la rejoigne.

Enfin, au vu de la fin ouverte du roman (attention spoiler), l’autrice remet en débat la question de la légitime défense, certaines affaires médiatiques ayant conduit à s’interroger sur une légitime défense différée afin de tenir compte du cas particulier de la femme battue. D’ailleurs, en matière de violences conjugales au sens large (mariage ou concubinage), il y a encore des avancées à faire judiciairement dans la prise en charge des enfants, victimes également, sujet traité par exemple dans Ceci n’est pas un fait divers de Philippe Besson (éd. Julliard, janvier 2023, 208 pages), un roman sociétal court traitant d’un féminicide (ce qu’on appelait autrefois un crime passionnel) du point de vue du fils aîné de la victime mais dont la lecture m’avait déçue en raison des trop nombreux clichés et erreurs judiciaires commises par l’auteur.

Pour d’autres avis sur ce roman: Bianca.